eChapitre 5
Les troubles du langage constituent un motif fréquent de consultation et concernent un ensemble large de patients et de pathologies, à tous les âges de la vie :
Le bilan orthophonique est un outil clinique de diagnostic. Il est pratiqué exclusivement par l’orthophoniste et ne peut être effectué que sur prescription médicale.
L’ordonnance doit porter le libellé « bilan orthophonique d’investigation » dans le cas d’une exploration visant uniquement à valider, à confirmer ou à écarter l’hypothèse d’un trouble du langage. Si une prise en charge s’avère d’ores et déjà indispensable, le libellé sera : « bilan orthophonique et rééducation si nécessaire ». Il n’est pas utile de mentionner un nombre de séances à effectuer sur l’ordonnance initiale.
En effet, à l’issue du bilan, l’orthophoniste est en mesure d’établir lui-même un « diagnostic orthophonique ». Il établit alors une demande d’accord préalable (DAP) auprès de la caisse de Sécurité sociale de l’assuré, qui lui permet, si accord, de pratiquer une série de 30 séances (renouvelable une fois par une série de 20) ou 50 séances (renouvelable une fois par une série de 50), en fonction de la nomenclature générale des actes professionnels (décision UNCAM du 11 mars 2005, J.O. du 30 mars 2005).
Le compte rendu de bilan orthophonique doit être envoyé au médecin prescripteur. Une note d’évolution permet à l’orthophoniste d’informer celui-ci du déroulement de la rééducation, des progrès constatés et de la nécessité ou non de poursuivre cette prise en charge (ordonnance mentionnant simplement : « bilan orthophonique de renouvellement », le renouvellement des séances étant tacitement entendu).
À leur demande, les parents peuvent avoir accès au compte rendu de bilan, qui leur sera remis par l’orthophoniste en main propre, « pour faire valoir ce que de droit ».
L’évaluation est indispensable avant d’entreprendre toute remédiation. Elle est nécessaire pour identifier le plus clairement possible la nature du déficit responsable des difficultés rencontrées par le patient. Suzanne Borel-Maisonny a posé les principes de bases de la démarche clinique en orthophonie : une observation quantitative à l’aide de tests, ainsi qu’une observation qualitative qui prend en compte le sujet dans sa globalité et met en évidence ses potentialités et pas seulement ses déficits [2].
Les outils (tests et protocoles standardisés) mis à la disposition des orthophonistes se sont considérablement enrichis. La méthodologie d’évaluation s’inscrit dans un contexte d’« approche multidisciplinaire (ou multicompétente) des troubles du langage ». Celle-ci décrit les structures – phonologique, morphologique, syntaxique… – du langage (« compétence linguistique ») ainsi que leurs conditions d’utilisation (« compétence pragmatique ») [10]. La plupart des outils actuels sont réalisés en référence à des modèles théoriques, décrivant les processus psycholinguistiques ou cognitifs propres à chaque domaine, pour tenter d’en explorer les différentes étapes. Pour d’autres domaines ne se prêtant pas à une modélisation, les épreuves ciblent alors leurs différentes composantes pour tenter de les évaluer.
Celles-ci peuvent être différentes : le sujet est placé en situation contrainte ou non. Dans la situation contrainte, « le test met le sujet dans un contexte d’effort : l’examinateur souhaite se faire une idée du potentiel maximum de l’enfant dans le traitement des diverses structures linguistiques ». Les outils cherchent alors à apprécier des connaissances implicites, explicites et des procédures que le sujet doit mettre en œuvre.
Dans une situation non contrainte de communication ou de jeu, des productions spontanées et des comportements sont observés et analysés.
Le bilan orthophonique comprend un entretien anamnestique, fondamental, qui doit être mené rigoureusement : origine de la demande (parents, école, enfant/adolescent lui-même), nature de la plainte, mode de vie, histoire du développement, etc.
Une série d’épreuves standardisées, sélectionnées par l’orthophoniste en fonction de la plainte, de l’âge et/ou du niveau scolaire de l’enfant ou de l’adolescent, et explorant l’ensemble des composantes langagières concernées est administrée. Une fois analysés et interprétés, les résultats obtenus, tant quantitatifs (scores et écarts à la norme) que qualitatifs (analyse des erreurs produites et des compétences préservées) permettront de porter un diagnostic et, le cas échéant, de proposer un projet thérapeutique cohérent. L’utilisation de batteries standardisées n’est, pour autant, pas toujours possible (très jeunes enfants, troubles envahissants du développement, polyhandicap…). Dans ce cas, le bilan orthophonique consiste en un compte rendu d’observations cliniques, décrivant les aptitudes élémentaires de l’enfant, le plus souvent au travers de situations de jeu (prérequis à l’acquisition du langage : contact et poursuite oculaire, attention conjointe, tour de rôle, pointage ; capacités d’expression et de compréhension…).
Le bilan s’attache à explorer les différentes composantes des modalités orales et/ou écrites, sur les deux versants, expression et compréhension, ainsi que certaines autres compétences cognitives. Dans le cadre d’un bilan standard, on examinera particulièrement les points suivants.
Praxies buccofaciales. Elles sont nécessaires à la bonne mise en place de l’articulation.
– Objectif : identifier des difficultés de programmation et/ou de coordination gestuelle.
– Type d’épreuves : sur ordre ou imitation, ouvrir grand la bouche, tirer la langue à droite puis à gauche…
Articulation. Elle englobe les mouvements qu’exige la production correcte d’un phonème.
– Objectif : vérifier la réalisation correcte des phonèmes de la langue.
– Types d’épreuves : répétition de syllabes simples, dénomination d’images.
Phonologie. Elle a trait à l’organisation des éléments sonores de la langue.
– Objectif : spécifier des dysfonctionnements de la planification des phonèmes dans le mot.
– Types d’épreuves : répétition de mots complexes, répétition de logatomes, dénomination d’images.
Métaphonologie. Pour la métaphonologie, ou représentation consciente de l’organisation des éléments sonores de la langue, on distingue :
• la sensibilité phonologique.
– Objectif : vérifier la capacité à discriminer certaines unités (phonèmes ou syllabes) dans les mots.
– Types d’épreuves : identification de rimes et de syllabes, jugement de phonèmes…
• le traitement métaphonologique.
– Objectif : estimer la capacité à isoler et à manipuler les phonèmes.
– Types d’épreuves : élision, ajout ou fusion de phonèmes, inversion syllabique…
Lexique. Ou répertoire des mots connus (versant réceptif) et disponibles (versant productif).
– Objectif 1 : apprécier le stock lexical (versant réceptif).
– Types d’épreuves : désignation parmi plusieurs images à partir d’un mot, d’un indice, d’une définition…
– Objectif 2 : évaluer l’accès au lexique (versant expressif).
– Types d’épreuves : fluences (indices sémantiques ou phonétiques), dénomination d’images…
Syntaxe. La syntaxe régit l’ordre des mots dans un énoncé, et la morphosyntaxe touche plus particulièrement aux marques grammaticales qui donnent à l’énoncé un sens particulier (pluriels, adverbes, marques de conjugaison des verbes…), en compréhension et en expression.
– Objectif 1 : évaluer le niveau de compréhension verbale.
– Types d’épreuves : exécution de consignes précises, désignation d’une image parmi quatre en fonction d’un énoncé oral, compréhension de récit…
– Objectif 2 : évaluer les capacités d’élaboration du discours.
– Types d’épreuves : niveau syntaxique : description d’image, production d’un récit narratif, construction d’une phrase à partir de trois mots et d’un contexte imagé donnés, etc. ; niveau morphosyntaxique : phrases à compléter d’après un contexte inducteur précis, transformation de phrases d’après un modèle fourni…
Maîtrise du langage élaboré. Elle nécessite d’accéder aux inférences, à la polysémie, au langage figuré, en compréhension comme en expression.
– Objectif : évaluer les compétences métalinguistiques et métacognitives.
– Types d’épreuves : concaténation de phrases à partir de plusieurs mots, explication et compréhension de métaphores, d’expressions idiomatiques, repérage et interprétation de contenu implicite, accès aux synonymes et antonymes…
Lecture. Avec l’analyse des voies d’identification des mots écrits (réalisation) et la compréhension des phrases et des textes.
– Objectif 1 : définir les stratégies de lecture et juger la maîtrise des processus de décodage.
– Types d’épreuves : lecture de non-mots pour évaluer la voie d’assemblage (conversions graphèmes-phonèmes), de mots réguliers et irréguliers pour évaluer la voie d’adressage (lexique orthographique d’entrée), en situation chronométrée, le temps nécessaire à la lecture constituant l’élément indispensable qui permet de juger du coût cognitif engendré par l’acte de lire.
– Objectif 2 : étudier la compréhension des phrases et des textes.
– Types d’épreuves : compréhension de phrases simples ou avec inférences, de textes courts ou longs contenant ou non des situations implicites. Elle est examinée par une lecture à haute voix ou en voix silencieuse. La vitesse de lecture est également évaluée.
Transcription. Dans sa réalisation.
– Objectif 1 : examiner les capacités de conversion des phonèmes en graphèmes.
– Types d’épreuves : dictée de logatomes.
– Objectif 2 : vérifier le stock orthographique de sortie.
– Types d’épreuves : transcription de mots réguliers et irréguliers.
– Objectif 3 : évaluer l’intégration des règles grammaticales.
– Types d’épreuves : dictée de phrases et ou d’un texte.
Mémoire. Évaluée dans ses modalités visuelle, auditive et verbale de façon immédiate et différée.
– Objectif : mesurer les capacités d’encodage, de rappel et de reconnaissance.
– Types d’épreuves : répétition de mots, de chiffres endroits/envers, de phrases et reproduction de structures rythmiques. Mémoire de récit…
Attention. L’attention ou les capacités du sujet à maintenir une concentration continue lors de l’exécution d’une tâche.
– Objectif : explorer les capacités d’attention sélective.
– Types d’épreuves : barrage d’une cible parmi des distracteurs, identification d’un bruit…
Notions temporelles et spatiales. En vérifiant la connaissance des différents termes topologiques, le repérage dans le temps et l’espace…
– Objectif : explorer la compréhension verbale de termes abstraits.
– Types d’épreuves : déplacer des objets selon des consignes précises.
Pragmatique. Elle consiste en l’utilisation fonctionnelle et adaptée des comportements et du langage dans une situation de communication.
– Objectif : évaluer l’intentionnalité, la régie de l’échange, l’adaptation et l’organisation de l’information.
– Types d’épreuves : grille d’observation, entretien d’accueil, jeux libres, situations nécessitant des stratégies d’adaptation…
Prosodie. Elle correspond à la « mélodie de la parole », mise en œuvre selon les différentes langues par les accents et intonations, qui constituent un vecteur subtil et complémentaire de sens.
Il peut être composé d’hypothèses et l’orthophoniste est en mesure de suggérer au prescripteur une série d’examens complémentaires. La compréhension d’éventuelles anomalies du développement langagier nécessite d’appréhender les dimensions affectives, cognitives, psychomotrices ainsi que le fonctionnement psychique de l’enfant, qui évolue en interaction avec son environnement familial, social, en particulier scolaire. Le langage ne peut être isolé des autres fonctions cognitives, et nous devons prendre en compte ces éléments pour l’évaluation et la prise en charge orthophonique.
Dans les cas les plus complexes, ou en l’absence de progrès alors que la prise en charge en orthophonie est suffisamment régulière, une évaluation pluridisciplinaire en centre référent « trouble du langage et des apprentissages » peut s’avérer nécessaire. L’ensemble des renseignements fournis par les bilans des autres professionnels sont une aide précieuse à la compréhension de la dynamique de développement de l’enfant et en donnent une vision plus complète. Le bilan orthophonique vient donc compléter les différentes évaluations que sont l’examen médical, le bilan psychométrique et neuropsychologique, le bilan psychomoteur, les bilans en ergothérapie et en orthoptie.
L’ensemble des examens ainsi que l’évolution observée au cours de la rééducation, permettent alors de diagnostiquer la nature spécifique ou non des troubles. Il convient, en effet, de différencier deux notions :
Le bilan orthophonique a pour but d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’un trouble du langage. Les systèmes de classification des troubles retiennent la notion de « décalage significatif entre le développement du langage et des apprentissages, et les progrès attendus sur la base de l’âge et du degré de scolarisation, en se référant à un âge mental ou QI mesuré (> 70) ». Ainsi le bilan orthophonique précise-t-il l’éventuel retard d’acquisition ou la présence d’un trouble plus structurel. Le bilan de langage peut aussi participer au pronostic. En effet, la comparaison régulière des performances avec le bilan initial peut mettre en évidence une amélioration des compétences ou une persistance des déficits, allant dans le sens d’un trouble structurel ou/et permettant de remettre en question l’efficacité de la remédiation.
Dominique CHAUVIN et Julie DEMOUY *
Note : * Orthophonistes, service de Psychiatrie de l’enfant, centre référent Langage, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris.
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© Lavoisier, 2013