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eChapitre 4

Place des thérapies psychopharmacologiques en psychiatrie de l’enfant

Situation actuelle des prescriptions de psychotropes

La place des prescriptions de psychotropes en psychiatrie infantojuvénile reste, actuellement en France, assez limitée dans la pratique thérapeutique : rares avec le jeune enfant, plus fréquentes lors de certains syndromes psychiatriques caractérisés de l’adolescence. Il a longtemps existé une opposition entre les pédopsychiatres prescripteurs d’emblée de médicaments et les pédopsychiatres qui centrent l’approche thérapeutique sur des actions plus à visée éducative, rééducative ou psychothérapique, réservant leurs prescriptions médicamenteuses à des moments particulièrement difficiles de la prise en charge de l’enfant, lorsque apparaissent certains symptômes trop invalidants pour l’enfant ou trop déstructurant pour lui. Parfois, chez l’adolescent, la prescription médicamenteuse peut se justifier d’emblée lorsque les symptômes psychiatriques paraissent particulièrement aigus et invalidants.

Des enquêtes récentes montrent toutefois une certaine extension de la prescription de psychotropes chez l’enfant et l’adolescent (qui ne sont pas toutes le fait de pédopsychiatres, mais aussi souvent de médecins généralistes ou de pédiatres). Ainsi une enquête menée auprès d’une population de 3 287 adolescents âgés de 12 à 20 ans montre-t-elle que 21,5 p. 100 d’entre eux ont utilisé au moins un psychotrope au cours des douze derniers mois et que 48 p. 100 des pédopsychiatres français interrogés lors d’une autre enquête ont eu régulièrement recours à cette forme de soin.

Une autre constatation s’impose concernant la prescription en pratique de ville de psychotropes à visée sédative ou anxiolytique, à des enfants de plus en plus jeunes, voire à des nourrissons : prescriptions souvent de « confort » faites à la demande de la famille, voire de l’école, mais parfois sans qu’ait été préalablement procédé à une analyse psychopathologique soigneuse de l’enfant, de ses troubles et de la situation familiale. Une prescription faite dans de telles conditions peut être plus nuisible qu’utile car elle risque de cacher les problématiques conscientes et inconscientes sous-jacentes, au profit de l’action sur le seul symptôme, action qui se révèle souvent d’ailleurs d’effet transitoire.

Les précautions

Peu de psychotropes ont obtenu l’autorisation de mise sur le marché avant l’âge de 15 ans en France (il n’en est pas de même aux Etats-Unis) et il importe de s’enquérir, avant toute prescription, de l’obtention de cette AMM sous peine de voir engagée la responsabilité du prescripteur.

La question de l’obtention de l’AMM reste un sujet quelque peu confus en psychopharmacologie infantile. Certains neuroleptiques (par exemple, le Dipipéron®) ont obtenu cette autorisation à partir de 5 ans. D’autres ne peuvent légalement être prescrits avant l’âge de 15 ans, voire 18 ans (par exemple, le Zyprexa®). Certains antidépresseurs tricycliques ont obtenu une autorisation dans le cas d’énurésie, mais n’ont pas obtenu cette autorisation pour le traitement des dépressions de l’enfant. Un médicament à visée initialement antidépressive chez l’adulte, le Zoloft® (inhibiteur de la rupture de la sérotonine), vient d’obtenir une autorisation pour les troubles obsessionnels-compulsifs chez l’enfant, à partir de 6 ans.

Un traitement qui a montré son efficacité chez l’adulte n’est pas obligatoirement un traitement efficace chez l’enfant en raison de certaines particularités pharmacocinétiques et pharmacodynamiques de l’enfant liées au fait que le cerveau de l’enfant est un organe en cours de développement qui ne possède pas les mêmes caractéristiques neurochimiques que celui de l’adulte.

Les connaissances actuelles en psychopharmacologie de l’enfant sont encore incomplètes et incitent à la plus grande prudence dans la prescription, dans le respect des contre-indications et dans le souci d’une surveillance régulière, clinique et biologique, lorsque cela est nécessaire.

La règle de la prescription minimale efficace doit être respectée, c’est-à-dire celle qui permet une sédation suffisante des symptômes les plus douloureux, tout en respectant l’intégrité du fonctionnement psychique de base de l’enfant. La prescription doit être progressive, fonction de l’évolution et de la tolérance, tout en respectant, chaque fois que possible, la monothérapie.

Une stratégie thérapeutique

La prescription de médicaments psychotropes chez l’enfant ne doit pas constituer une réponse ponctuelle à un symptôme, mais être envisagée dans le cadre d’une stratégie thérapeutique globale, éventuellement sur le long terme.

L’élaboration de cette stratégie nécessite le plus souvent des contacts et une réflexion commune avec les éventuels autres intervenants (psychologue, psychothérapeute, rééducateur, juge, enseignant).

L’élaboration de cette stratégie est fondée sur :

  • – l’établissement d’un diagnostic structural précis ;
  • – la mise en évidence des mécanismes psychopathologiques et des principaux symptômes dont ils sont l’expression. Dans cette démarche, l’apport de la théorie psychanalytique est essentiel pour comprendre la nature de ces mécanismes en jeu (identification, clivage, projection, nature des angoisses, etc.) ainsi que la nature des conflits fantasmatiques sous-jacents ;
  • – la place de l’enfant et de ses troubles au sein de la dynamique familiale et la nature des attitudes de chacun des parents en réponse aux troubles de l’enfant ;
  • – le retentissement des troubles sur les différents apprentissages, notamment scolaires.

Au terme de cette analyse, une stratégie thérapeutique pourra être proposée à l’enfant et à sa famille, incluant des mesures hiérarchisées dans leur importance et précises dans leur temporalité, mesures éducatives, psychothérapiques, pédagogiques, chimiothérapiques.

La prescription médicamenteuse

Elle doit trouver sa place légitime dans le cadre de la stratégie thérapeutique précédemment décrite.

La prescription médicamenteuse doit être expliquée à l’enfant et ses effets doivent lui être décrits, de même que l’aide qu’il peut attendre de cette forme de thérapie. Il est indispensable, dans toute la mesure du possible, d’obtenir l’accord et la collaboration de l’enfant à son traitement. Si toutes ces conditions sont réalisées, l’enfant, se sentant soulagé de certains symptômes gênants, investit de façon positive son traitement.

La prescription médicamenteuse doit être expliquée aux parents, comprise et acceptée par eux. Le traitement médicamenteux ne doit pas être vécu par ceux-ci comme un moyen de faire disparaître à bon compte des troubles comportementaux de leur enfant et encore moins comme la façon d’éviter d’un véritable dialogue avec l’enfant.

La prescription doit être limitée au strict temps nécessaire et respecter le fonctionnement psychique de base du patient. Les craintes de dépendance vis-à-vis du traitement doivent être élucidées et dédramatisées. Celles-ci n’existent pratiquement que pour les benzodiazépines en ce qui concerne la dépendance physique.

L’attitude globale de l’enfant et celle de son entourage vis-à-vis de la prescription médicamenteuse au sein de l’ensemble du traitement sont capitales pour la bonne réussite de celui-ci. Le médicament peut être vécu par l’enfant comme un « bon objet » susceptible de lui apporter aide et soutien, dans sa tentative de compréhension et de maîtrise de ses symptômes et des conflits et angoisses sous-jacentes à ceux-ci. Mais il arrive parfois que l’enfant oppose une certaine résistance au traitement, qui va de la franche opposition avec refus de prise des médicaments, à une attitude de résistance passive avec « oubli » des prises. Le traitement peut alors être vécu par l’enfant comme une intrusion dans son monde intérieur d’objets externes étrangers, qui risqueraient de le déposséder de la maîtrise de ses désirs, de ses pensées, de son intimité, voire de lui-même. Cet aspect doit être pris en compte et élucidé, si l’on veut obtenir la meilleure efficacité du traitement.

Il est capital pour le médecin dans l’acte thérapeutique de tenter de comprendre l’impact exact du médicament non seulement sur les structures neurochimiques, ce qui est relativement aisé, mais aussi, ce qui est plus délicat, sur les mécanismes psychopathologiques en cause : mouvements pulsionnels, nature des angoisses et des affects, mouvements d’inhibition ou de retrait, processus cognitifs, etc.

Ce questionnement est essentiel pour une menée adéquate du traitement, mais il convient de rappeler que nos connaissances dans ce domaine sont encore incomplètes et partielles, nécessitant de nouvelles recherches et réflexion sur l’impact psychopathologique des psychotropes.

Pierre FERRARI *

Note : * Professeur honoraire de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, université Paris XI ; ancien Chef de service hospitalier en Psychiatrie infantile, hôpital de la fondation Vallée, Gentilly ; chef du réseau de recherche Inserm sur l’autisme (1988-1996), Paris ; co-fondateur et Past-Président de l’Aepea.

BIBLIOGRAPHIE
1. LEDOUX S, CHOQUET M, MANFREDI R. Self reported use of drugs for sleep or distress among French adolescents. Adolesc Health, 1994 : 495-502.
2. THEVENOT JP. La psychiatrie de l’enfant face à la prescription de médicaments. L’Information psychiatrique, 2000, 3 : 267-270.

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